Pass Culture : entre succès quantitatif et limites qualitatives

Lancé en 2017 et généralisé en 2021, le Pass Culture, dispositif phrase du ministère de la Culture, vise à favoriser l’accès à la culture pour les jeunes de 15 à 18 ans. Il se compose d’une part individuelle, sous forme de crédit alloué aux jeunes, et d’une part collective, destinée aux classes scolaires. Un rapport de la Cour des comptes, publié en décembre 2024, dresse un bilan mitigé de ce dispositif, en se concentrant principalement sur la part individuelle, et relève ce que l’on savait déjà : le Pass Culture coûte cher et ne remplit pas ses objectifs de diversité des pratiques culturelles.

Pass Culture : entre succès quantitatif et limites qualitatives
Pass Culture : entre succès quantitatif et limites qualitatives

Un succès quantitatif indéniable, mais des inégalités persistantes

Le rapport reconnaît un succès quantitatif important : 84 % des jeunes de 18 ans révolus utilisent le Pass Culture à la fin août 2024. Au total, ce sont 4,2 millions d’inscrits depuis 2019. Cependant, cette adoption masque des inégalités. Les jeunes issus de milieux modestes sont moins nombreux à activer leur Pass (seulement 68 % pour les jeunes dont les parents sont ouvriers ou employés), ce qui contredit l’objectif de démocratisation culturelle. De plus, 9 % des jeunes qui ont téléchargé l’application du pass l’ont pas utilisé pour autant, tandis que 16 % des bénéficiaires potentielles, correspondant aux publics les moins familiers des pratiques culturelles, n’ont pas adhéré au dispositif. Au total, 25 % des jeunes n’ont pas bénéficié du pass. Et les 75 % de jeunes qui ont utilisé leur pass n’ont, en moyenne, dépensés que 250 € sur les 300 € disponibles.

Voir aussi : Le surtourisme, menace (évitable) pour le patrimoine culturel

Une diversification des pratiques culturelles limités

L’analyse des pratiques révèle une concentration sur des activités courantes : les livres (notamment les mangas) et le cinéma représentent la majorité des dépenses. Les spectacles vivants (théâtre, danse, cirque…) ne représentent que 7 % des réservations. L’efficacité des outils de recommandation est également remise en question, puisque la plupart des réservations (88,6 % selon la Cour) sont effectuées via le moteur de recherche, suggérant que les jeunes connaissent déjà leurs préférences. Le Pass Culture semble donc davantage conforter des pratiques existantes qu’en encourager de nouvelles. La ministre de la Culture elle-même, dans sa réponse à la Cour, reconnaît que le Pass n’est pas encore « l’outil de démocratisation culturelle qu’il a pour objectif d’incarner ».

Voir aussi : Les anneaux olympiques vont-ils rester gravés dans le paysage parisien ?

Les grands opérateurs publics du spectacle vivant semblent réticents à s’ouvrir au public détenteur du pass Culture. Seuls 55 % des musées y sont inscrits. De plus, l’organisme en charge de ce pass, la société pass Culture, n’étant pas mandaté pour s’assurer de la qualité des offres proposées, la part individuelle du pass offre une liberté totale à l’utilisateur dans le choix de ses pratiques. Les outils de recommandations éditorialisés ou algorithmiques développés par la société ont eu peu d’effet puisque 90 % des réservations ont été réalisées à partir d’une première consultation du moteur de recherche, et non à partir des propositions poussées par l’application.

Dès lors, le principal impact du pass Culture observé sur les premières cohortes se traduit plutôt par une intensification des pratiques culturelles déjà bien établies chez les jeunes. La médiation faiblement développée au sein de l’application ne permet pas de contrecarrer les inégalités structurelles préexistantes à l’accès à la culture. Un sondage commandé par la Cour et par l’Inspection générale des affaires culturelles a également mis en évidence la difficulté de pérenniser les nouvelles pratiques culturelles suscitées par le pass. En effet, une fois les crédits du pass Culture consommés ou expirés, les utilisateurs ne sont plus que 38 % à poursuivre les activités découvertes et 37 % à fréquenter les lieux fréquentés grâce à l’application.

Le nombre pléthorique d’offres (140 millions provenant de 36 000 offreurs) et le manque de contrôle ont conduit à des dérives, comme le financement d’escape games pour 16 millions d’euros, depuis déréférencés.

Voir aussi : Notre-Dame de Paris, le projet controversé du Président de la République

Un coût élevé et une gouvernance à consolider

Par ailleurs, la Cour des comptes juge la gouvernance du Pass Culture complexe et perfectible. Elle insiste sur la nécessité d’un meilleur suivi et d’une plus grande transparence. Son plaidoyer pour la transformation de la société privée gérant le dispositif en un opérateur d’Etat, formulé dès son premier rapport a été entendu. Actuellement, la SAS Pass Culture, qui emploie 176 personnes à temps plein, bénéficie d’un budget de fonctionnement conséquent de 24 millions d’euros en 2023 et d’une large autonomie. Le passage au statut d’opérateur d’Etat permettra un meilleur contrôle par les pouvoirs publics, notamment un encadrement via un plafond d’emploi et l’application des règles de la comptabilité publique. Bien que la Cour n’ait pas constaté de dysfonctionnements majeurs dans la gestion de la SAS, elle préconise un renforcement du contrôle étatique, en particulier un rattachement des équipes régionales (32 personnes chargées de l’animation du Pass) aux Directions régionales des Affaires culturelles (DRAC), ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Autre point majeur : le coût du dispositif pour les finances publiques. Avec 244 millions d’euros pour le Pass individuel et 80 millions pour le Pass collectif, soit un total de 324 millions d’euros en 2023, la Cour propose plusieurs pistes d’économies. Elle suggère notamment de ramener le montant de l’aide individuelle de 300 à 200 euros (elle était à l’origine de 500 €), en s’appuyant sur le montant moyen dépensé (244 euros), ce qui générait des économies entre 30 et 40 millions d’euros. L’instauration de conditions de ressources pour cibler les jeunes les moins favorisés est également évoquée, sans toutefois préciser les modalités et les économies potentielles.


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *