Des chats musiciens, pilotes ou sportifs : bienvenue dans l’univers fantasque de Louis Wain.

Synonyme d’images félines fantaisistes, Louis Wain a captivé l’Angleterre victorienne avec ses représentations ludiques et souvent satiriques des chats. Les toiles de Louis Wain nous invitent à plonger dans un univers féérique où les chats, anthropomorphisés et excentriques, mènent une vie sociale aussi trépidante que la nôtre. Dans ces mondes oniriques, les félins jouent au cricket, assistent à des opéras et organisent des bals masqués. Au-delà de l’humour et de la fantaisie, ces œuvres reflètent le mal-être profond de leur créateur. Les chats, avec leurs yeux grands ouverts et leurs expressions parfois mélancoliques, semblent incarner les tourments intérieurs de l’artiste.
Né à Londres en 1860, Louis Wain est un esprit aussi complexe que ses célèbres représentations félines. Aîné d’une famille franco-britannique, son enfance, marquée par une fente labiale et une éducation atypique, forge un caractère unique. Son goût pour l’observation, aiguisé par de longues heures passées à observer la nature et les mécanismes, se révèle être le terreau fertile de son futur talent artistique. Malgré une scolarité tumultueuse, Louis Wain est un autodidacte passionné, curieux de tout ce qui l’entoure. Sa soif d’apprendre le pousse à explorer une multitude de domaines, de la musique à la science, avant qu’il ne trouve sa véritable voie dans l’art.

À vingt ans, la vie de Louis Wain bascule brutalement. Le décès de son père, commerçant de textile, le contraint à subvenir aux besoins de sa mère et de ses cinq sœurs. Il quitte alors le cocon familial pour louer une modeste chambre de bonne. C’est dans cet espace exigu qu’il donne naissance à sa première œuvre publiée : un bouvreuil perché sur des buissons de lauriers, paru dans l’illustre hebdomadaire anglais Illustrated Sporting and Dramatic News. Cette première reconnaissance est un véritable tournant. Le rédacteur en chef du magazine, Sir William Ingram, séduit par son talent, l’engage.
Du réalisme à l’abstraction
Après ce premier succès, Louis Wain retourne au nid familial où il fait la connaissance d’Emily Richardson, la nouvelle gouvernante. Malgré leur différence d’âge de dix ans, ils tombent éperdument amoureux. Leur union, jugée indécente par la famille Wain, les pousse à s’installer à Hampstead. En janvier 1884, alors que l’artiste a 23 ans, ils se marient dans une petite chapelle, mais aucun membre de leurs familles n’assiste à la cérémonie.
Le bonheur des jeunes mariés est interrompu lorsqu’Emily Wain apprend qu’elle souffre d’un cancer du sein. C’est lors de cette épreuve que Louis découvre sa véritable vocation. Leur chat Peter, leur fidèle compagnon, devient sa muse. Ses premiers dessins, où Peter arbore des lunettes et manipule des objets, marquent un tournant. En 1886, il publie ses illustrations dans l’Illustrated London News, ouvrant ainsi la voie à un univers félin anthropomorphe inédit. Si les chats de A Kitten’s Christmas Party sont encore relativement réalistes, ils préfigurent les créatures extravagantes et expressives qui feront sa renommée. La mort d’Emily, en 1888, marque un tournant tragique dans sa vie, mais son héritage artistique perdure à travers ses milliers de félins.

Au sommet de la gloire féline
Après avoir emménagé avec son fidèle compagnon Peter à New Cavendish Street, à Westminster, Louis Wain vit une période de grande créativité. La mort de Peter en 1899 fut un coup dur dont il ne se remit jamais vraiment. Parallèlement, la santé mentale de sa plus jeune sœur Marie se détériorait.
Au tournant du siècle, Louis Wain devient l’un des illustrateurs les plus prolifiques d’Angleterre. Ses dessins de chats anthropomorphes aux expressions exagérées et aux poses humaines, connaissent un succès phénoménal. Il souhaite effacer le mépris que les chats subissent en Angleterre. À travers ses œuvres, il non seulement popularise le chat comme animal de compagnie, mais critique aussi les mœurs de la haute société victorienne et édouardienne. Ses félins, élégants et sophistiqués, parodient les comportements humains avec une pointe d’ironie. Son travail est publié dans des journaux, des revues et des magazines, notamment le Louis Wain Annual, un guide publié de 1901 à 1915. Entre 1898 et 1911, il devient le président de l’association National Cat Club.

Malgré sa renommée, Wain se retrouve souvent dans une situation financière précaire. Son altruisme et son manque de sens des affaires l’empêchent de tirer profit de son talent. Il vend ses dessins à bas prix, ne conservant que rarement les droits sur leur reproduction. Ses investissements imprudents, notamment à New York, aggravent la situation. Il finit par avoir de moins en moins de travail, les éditeurs pouvant réutiliser ses œuvres sans lui verser de redevances. A court d’argent, il payait généralement ses créanciers en nature, offrant ses dessins comme monnaie d’échange. La mort successive de ses sœurs Marie et Caroline, cette dernière emportée par la grippe espagnole, marque un tournant dans sa vie. Ces pertes, combinées à ses difficultés financières et à sa santé mentale fragile, l’amènent à être interné en 1924 dans un hôpital psychiatrique.
La métamorphose des félins
Après la Première Guerre Mondiale, les commandes se tarissent pour Louis Wain. Parallèlement, ses célèbres chats anthropomorphes subissent une métamorphose radicale. Les félins élégants et mondains cèdent la place à des créatures abstraites, aux formes décomposées, reflétant peut-être les tourments intérieurs de leur créateur. Dans les années 1920, les signes de déclin mental de Wain se multiplient. La guerre, les pertes financières et l’isolement semblent avoir érodé son esprit. Sans un sou en poche, il est interné dans un hôpital psychiatrique du comté de Middlesex. Le diagnostic est sans appel : schizophrénie. Pourtant, malgré ses délires, il quitte l’institution et recommence à dessiner et à peindre. Il enchaîne les séjours à l’hôpital et son état empire.

Finalement, il est transféré au Royal Bethlem Hospital, à Southwark, un établissement réputé pour sa longue histoire et ses méthodes parfois controversées. Dans cette institution, Wain dispose d’une chambre personnelle où il peut poursuivre ses créations. Ses chats, autrefois symboles de joie et d’élégance, se désintègrent progressivement dans des tableaux aux couleurs vives et aux formes fragmentées – une série qu’il appellera plus tard Chats kaléidoscopiques
En 1937, une exposition de ses derniers travaux est organisée à la Clarendon House Gallery. Les critiques sont mitigées, certains y voient une œuvre d’art brut, d’autres les stigmates d’une maladie mentale. Malgré tout, l’exposition suscite un certain intérêt du public et de la presse. Wain, lui, ne pourra pas en profiter pleinement. En 1936, il est victime d’un AVC qui le laisse paralysé et aphasique. Il continue cependant à dessiner, guidé par une volonté farouche de créer jusqu’au bout. Louis Wain s’éteint en 1939, à l’âge de 78 ans, dans la plus grande pauvreté et l’oubli.
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