L’art spolié par les nazis : l’arbitrage peut-il aider à la restitution ?

Des milliers d’œuvres d’art volées aux familles juives pendant la Shoah. L’Allemagne cherche à faciliter leur restitution, mais l’arbitrage est-il la bonne réponse ?

L'une des dernières décisions de la commission Limbach : ses experts ont recommandé que la Nature morte à l'ocarina (1931) de Georg Grosz reste à la Kunsthalle de Brême.
© Estate of George Grosz, Princeton, N.J. / VG Bild-Kunst, Bonn 2025
L’une des dernières décisions de la commission Limbach : ses experts ont recommandé que la Nature morte à l’ocarina (1931) de Georg Grosz reste à la Kunsthalle de Brême.
© Estate of George Grosz, Princeton, N.J. / VG Bild-Kunst, Bonn 2025

L’Allemagne a récemment réformé ses procédures de restitution des œuvres d’art spoliées par les nazis, remplaçant la Commission Limbach par des tribunaux d’arbitrage. Cette réforme, censée améliorer l’efficacité et l’équité du processus, suscite des débats et des inquiétudes quant à sa capacité à résoudre ce problème complexe.

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Sous le régime nazi, entre 1933 et 1945, des centaines de milliers d’œuvres d’art ont été volées à leurs propriétaires, principalement juifs, dans le cadre d’une politique de spoliation systématique. On estime à au moins 200 000 le nombre d’objets spoliés rien qu’en Allemagne. Au cours des dernières décennies, ces œuvres ont souvent changé de mains, et certaines se retrouvent aujourd’hui dans des musées ou des collections privées. Les propriétaires actuels ne sont pas toujours enclins à restituer ces œuvres, arguant souvent de leur bonne foi lors de l’acquisition.

Pas de loi sur la restitution en Allemagne

Contrairement à d’autres pays comme la France ou l’Autriche, l’Allemagne ne possède pas de loi spécifique sur la restitution des œuvres d’art spoliées. Les tentatives de mise en place d’une telle loi ont jusqu’à présent échoué, en raison du scepticisme des responsables politiques et des conservateurs de musée.  Par exemple, Hermann Parzinger, président de la Fondation du patrimoine culturel prussien, a déclaré en 2015 qu’une telle loi n’aurait « aucune pertinence », arguant que les musées d’État restituent spontanément les œuvres identifiées comme spoliées. Selon lui, il faudrait plutôt investir davantage dans la recherche de la provenance et, surtout, soutenir davantage les petits musées dans leurs efforts de recherche d’œuvres d’art pillées dans leurs collections.

La Commission Limbach : un bilan en demi-teinte

Créée en 1998, la Commission Limbach avait pour mission de faciliter la restitution des œuvres d’art spoliées en appliquant les principes de la Déclaration de Washington. Composée d’experts juridiques, philosophes, historiens et anciens politiques, la Commission ne pouvait que formuler que des recommandations, sans pouvoir juridique contraignant. En outre, elle ne pouvait agir que si les deux parties (héritiers et détenteurs) la saisissaient simultanément.

La réforme controversée : les tribunaux d’arbitrage

Face aux limites de la Commission, l’Allemagne a adopté le 08 janvier 2025 son remplacement par des tribunaux d’arbitrage. L’objectif affiché est d’améliorer l’efficacité des procédures de restitution et de rendre les décisions plus contraignantes.

Selon la ministre des Arts du Bade-Wurtemberg, Petra Olschowski (Les Verts), cette réforme permettra d’établir de nouvelles bases pour le traitement des biens spoliés et de créer une plus grande sécurité juridique. Elle souligne également que des demandes importantes des associations juives ont été prises en compte, comme la possibilité de saisir unilatéralement l’instance d’arbitrage et le caractère obligatoire de la décision.

Un avis que de nombreux représentants ne partagent pas. « Contrairement à ce qu’a annoncé Mme Roth, les procédures d’arbitrage prévues ne peuvent être saisies qu’avec l’accord des propriétaires actuels », peut-on y lire dans une lettre ouverte adressée au chancelier Olaf Scholz (SPD) en janvier. « Le projet de loi sur l’arbitrage aggrave de manière flagrante la situation des victimes […] Avec les nouvelles règles de restitution, des groupes entiers de victimes, notamment les marchands d’art persécutés, ne pourront plus récupérer les œuvres d’art qu’ils ont vendues pendant l’ère nazie sous la menace de la persécution. »

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Des experts, des avocats et des associations de victimes estiment que cette réforme ne résout pas le problème de fond : l’absence de loi sur la restitution. Ils craignent que les tribunaux d’arbitrage ne soient pas en mesure de garantir l’équité et la transparence des procédures. Les signataires ont donc demandé que la décision soit reportée dans l’attente d’un débat public sur les procédures d’arbitrage prévues au sein de la commission des affaires juridiques du Parlement, une demande désormais obsolète.


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