La photographie à l’épreuve du temps

Si le marché a connu des périodes de croissance rapide, les tendances récentes laissent entrevoir un paysage plus nuancé et plus complexe.

Zanele Muholi Qiniso, The Sails, Durban, 2019 © Zanele Muholi Courtesy of the Artist and Yancey Richardson, New York
Zanele Muholi Qiniso, The Sails, Durban, 2019 © Zanele Muholi Courtesy of the Artist and Yancey Richardson, New York

Contraction du marché

L’intégration de la photographie aux ventes aux enchères à partir des années 1970 a révolutionné le marché, propulsant en quelques décennies sont produit mondial de quelques millions à plusieurs centaines de millions de dollars. Si cette croissance a été exponentielle jusqu’en 2014, elle a depuis connu une stabilisation, voire une légère contraction.

Plusieurs facteurs expliquent cette évolution. D’une part, l’offre s’est considérablement étoffée, notamment sur le segment intermédiaire, où la saturation a entraîné une baisse des estimations. Par exemple, les tirages d’Eugène Atget, autrefois estimés entre 3 000 et 5 000 euros, se négocient aujourd’hui entre 800 et 1 000 euros. De plus, la préférence des collectionneurs pour les tirages vintages, c’est-à-dire réalisés à l’époque de la prise de vue, s’est effritée au profit de tirages postérieurs, moins valorisés. D’autre part, le marché de la photographie ancienne (1839-1900), en particulier, connaît une contraction due à la raréfaction des chefs-d’œuvre. Les tirages de qualité, notamment ceux réalisés par les grands noms, sont de plus en plus recherchés par les collectionneurs et sortent rarement du marché, faisant s’envoler les prix.

Néanmoins, cette évolution ne témoigne pas d’un désintérêt mais plutôt d’un repositionnement du marché. Les collectionneurs se tournent désormais vers des œuvres plus accessibles, tout en restant exigeants quant à leur qualité. En effet, bien que le volume global des ventes ait augmenté grâce au développement des ventes en ligne, les adjudications pour les œuvres d’exception se font plus rares. Les chiffres d’Artprice sont éloquents : si le nombre de lots vendus a doublé depuis 2008, les œuvres dépassant les 100 000 euros sont devenues une exception.

Un marché aux enchères en mutation

Parallèlement à cette croissance globale, les maisons de ventes aux enchères connaissent des dynamiques complexes. Les trois plus complexes. Les trois plus grandes maisons de ventes (Christie’s, Sotheby’s et Philips) ont connu une baisse de 16 % en 2023 par rapport à 2022 – un ralentissement moins marqué que celui de l’ensemble du marché de l’art (27 %), cependant.

Paradoxalement, les volumes de ventes pour la photographie ont atteint un niveau record en 2023. L’Autoportrait (avec une corde autour du cou) (1980) de Peter Hujar s’est adjugé pour 252 000 dollars, quintuplant son estimation lors d’une vente chez Christie’s en avril dernier. Irving Penn, Diane Arbus et Cindy Sherman ont également vu leurs œuvres atteindre des sommets, dépassant largement les estimations. La vente aux enchères de la collection Margulies chez Phillips a confirmé cet engouement, avec près de 90 % des lots qui ont dépassé ou atteint leur estimation initiale.

Diane ARBUS, Identical Twins, 1966, épreuve à la gélatine, 38 x 37 cm © Diane ARBUS
Diane ARBUS, Identical Twins, 1966, épreuve à la gélatine, 38 x 37 cm © Diane ARBUS

Les foires et galeries : des acteurs clés du marché

Outre les salles de ventes, les foires et les galeries sont les piliers du marché photo. Si les foires d’art généralistes accordent une place importante à la peinture et à la sculpture, des événements spécialisés, comme Paris Photo ou les Rencontres d’Arles, sont entièrement dédiés à la photographie.

On observe alors une ouverture du marché de l’art photographique à de nouvelles voix, notamment celles de femmes et d’artistes de la diaspora africaine. Des rétrospectives majeures (Hiroshi Sugimoto, Zanele Muholi, LaToya Ruby Fraizier) et des expositions documentaires (Claudia Andujar et River Claure à la Biennale de Venise) témoignent de cette diversité et de l’engagement de la photographie à aborder les enjeux sociaux. De nouveaux talents émergent, comme Trevor Stuurman et Nonzuzo Gxekwa en Afrique, tandis que des figures historiques comme Vivian Maier et Frank Stewart sont (re)découvertes. Cette dynamique reflète une volonté de diversifier les représentations et de donner une place plus importante aux voix marginalisées.


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