Enfin une expertise pour Le Saut du Doubs de Courbet

Près de cinq ans depuis sa vente aux enchères à Besançon, un tableau attribué à Gustave Courbet est au centre d’une bataille judiciaire. L’acheteur, un retraité américain, remet en question l’authenticité de l’œuvre et demande l’annulation de la vente, ainsi qu’une expertise judiciaire. Après avoir été débouté en première instance, il a finalement obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Besançon, début décembre 2023. Une expertise sera réalisée pour qualifier l’état de l’œuvre et son authenticité.

Gustave Courbet, Le Saut du Doubs, vers 1939/40
Gustave Courbet, Le Saut du Doubs, vers 1939/40

L’affaire remonte au 10 juin 2018, lorsque Monsieur Rogozienski fait l’acquisition à distance d’un tableau présenté comme étant une œuvre de Gustave Courbet (1819-1877), lors d’une vente aux enchères publique à Besançon. Le Saut du Doubs (vers 1839/40) est estimé entre 8 000 et 10 000 euros et est finalement acquis pour un montant total de 60 002 euros (frais compris). La veille de la vente, Monsieur Rogozienski avait demandé par courrier électronique des informations sur l’état de conservation du tableau. Le jour même, l’étude du commissaire-priseur bisontin lui répond par courriel qu’aucune restauration n’est signalée, bien que cela ne soit pas mentionné dans le catalogue. Ce n’est qu’à la réception de sa facture que le collectionneur découvre une information supplémentaire ajoutée à la description du tableau : « Petites restaurations, vernis jaunes épais. » 

Peu après son acquisition, l’acheteur prête son tableau pour une exposition au Musée Jurassien d’Art et d’Histoire de Delémont, en Suisse, qui se déroule du 4 octobre 2019 au 2 février 2020. Le musée qualifie alors l’état de l’œuvre de « mauvais » et constate « que la couche picturale du tableau présente des effritements, des égratignures/usures, des lacunes, un pâlissement ou décoloration, et que la couche de protection est quant à elle affectée de formation de bulles et de décoloration ».

Voir aussi : Un tableau réattribué à Rubens par le Musée d’art de l’université de Princeton

En avril 2021, l’acquéreur réceptionne le tableau aux Etats-Unis et le fait examiner par le Balboa Art Conservation (BACC) de San Diego, un centre de restauration de tableaux. Le rapport du BACC est sans appel : « Structurellement parlant, le tableau est en mauvais état […] L’esthétique du tableau est également compromise par les zones de pertes apparentes. » D’autres éléments viennent renforcer les doutes : les dimensions du tableau acheté diffèrent de celles indiquées dans le catalogue, avec une différence de 5 mm ; la signature de Gustave Courbet aurait, quant à elle, été ajoutée après le vieillissement de la toile, alimentant encore plus les suspicions. Il faut dire que Courbet avait l’habitude de « rendre service » à son ami peintre, Cherubino Pata (1827-1899), moins bien côté que lui, en signant de son nom ses tableaux.

Ces éléments n’ont pas convaincu le juge des référés, qui avait rejeté la demande d’expertise en décembre 2022. Selon lui, « il ne suffit pas d’avoir un doute sur l’authenticité d’un tableau pour exiger une expertise. La demande d’expertise doit être étayée par des éléments extérieurs objectifs qui font défaut en l’espèce ». Le juge s’appuyait également sur l’inclusion de l’œuvre dans le catalogue raisonné de Robert Fernier (1895-1977), réalisé en 1981.

Au contraire, la cour d’appel, dans son arrêt du 6 décembre 2023, a considéré que l’appelant avait un intérêt légitime à solliciter d’une mesure d’expertise, dès lors qu’il verse des éléments concrets accréditant les doutes qu’il émet sur l’état du tableau et/ou sur son authenticité. Le certificat d’authenticité établit par Monsieur Robert Hellebranth le 29 octobre 1984 – et apparu trois ans et demi après la vente – est notamment remis en question, car il ne comporte « aucune description de l’œuvre, ne serait-ce que par l’indication de son titre ou de son sujet ». La cour d’appel conteste également le gage d’authenticité que procurait le catalogue de Fernier dans la mesure où l’œuvre figurant au catalogue porte un titre différent (La Cascade).

Voir aussi : La plumbonacrite, le véritable secret de la Joconde

Dans ce contexte, la cour d’appel ordonne une mesure d’expertise judiciaire confiée à Monsieur Gilles Perrault, expert en peinture ancienne. Il devra examiner le tableau afin de déterminer son authenticité en tant qu’œuvre de Gustave Courbet, ainsi que l’authenticité de sa signature. Il devra aussi déterminer comment l’œuvre doit être décrite et donner son avis sur son estimation, ainsi que sur l’état de conservation du tableau.

L’expert devra déposer son rapport définitif au greffe du tribunal judiciaire de Besançon dans un délai de six mois à compter de l’avis de consignation de la provision. Pour cela, Monsieur Rogozienski devra fournir la somme de 5 000 euros à titre de provision sur les honoraires de l’expert avant le 6 février 2024, auprès du régisseur d’avances et de recettes du tribunal judiciaire de Besançon.

« Mon client et moi-même sommes ravis de cette décision rendue par la Cour d’Appel qui a suivi l’argumentation développée et a fait droit à notre demande d’expertise de l’œuvre. Celle-ci portera tant sur l’état du tableau que sur l’authenticité de celui-ci. La Cour a constaté nos doutes sur la littérature produite avec ce tableau qui interroge. L’expertise permettra de lever ces doutes », a déclaré Maître Béatrice Cohen, avocate du plaignant.


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *