Une ancienne prison argentine entre au patrimoine mondial de l’UNESCO

Une page importante de l’Histoire de l’Argentine s’est dessinée dans l’ancienne école de mécanique de la marine, ou ESMA, de Buenos Aires. Durant la dernière dictature militaire, de 1976 à 1983, elle contenait effectivement un centre clandestin de détention et de torture. Lieu de mémoire incontournable pour la population locale, ce site historique sera désormais inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Sous-sol du musée et site de mémoire de l'ESMA, à Buenos Aires
Sous-sol du musée et site de mémoire de l’ESMA, à Buenos Aires

En septembre dernier, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO, réuni en Arabie Saoudite, a évalué la demande d’inscription de l’ESMA au patrimoine mondial de l’humanité. Sans surprise, l’organisme a décidé d’inclure ce site de mémoire à sa liste de sites « considérés comme ayant une valeur exceptionnelle pour l’humanité ». L’ancienne école militaire de la marine argentine abrite aujourd’hui un musée de Mémoire incontournable du pays. Elle comprend également des bureaux d’agences gouvernementales et d’organisations de défense des droits de l’Homme. Le gouvernement argentin se félicite donc de cette inscription, puisque l’UNESCO désigne rarement ce type de musée lié à l’Histoire récente. Cependant, le site est le symbole d’une période extrêmement sombre de l’Histoire du pays et son passif est semblable à nul autre.

Dans un message vidéo, le président argentin Alberto Fernandez a remercié l’UNESCO pour cette désignation. Il affirmait que « l’école de mécanique de la marine a véhiculé les pires aspects du terrorisme d’État. La mémoire doit être maintenue vivante […] afin que personne en Argentine n’oublie ou ne nie les horreurs qui y ont été vécues ». De son côté, le secrétaire d’Etat argentin aux droits de l’Homme a déclaré dans un communiqué que « cette reconnaissance internationale constitue une réponse forte à ceux qui nient ou cherchent à minimiser le terrorisme d’État et les crimes de la dernière dictature civile et militaire. [Cette désignation] est un hommage aux milliers de personnes disparues sur notre continent. Il s’agit d’un événement d’une importance unique dans l’histoire de l’Argentine et de la région, qui crée un précédent pour continuer à montrer l’exemple dans le monde avec des politiques de mémoire, de vérité et de justice ».

En Amérique latine, l’Argentine est l’Etat comptant le plus d’initiatives pour faire juger les crimes des différentes dictatures régionales. Depuis 2006, près de 300 procès pour crimes contre l’humanité s’y sont d’ailleurs tenus. De fait, l’ESMA de Buenos Aires représente la répression illégale des nombreuses dictatures militaires du continent dans les dernières décennies.

Le « Processus de réorganisation nationale »

De 1976 à 1983, l’Argentine était gouvernée par une dictature militaire particulièrement violente, le « Processus de réorganisation nationale » – faisant alors écho à un régime similaire en Uruguay. En à peine sept ans, la junte militaire a fait près de 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques et 1,5 million d’exilés. Elle a également fait 30 000 « desaparecidos » (ou disparus), soit des personnes ayant été secrètement arrêtées et tuées par la milice. Pour mettre en œuvre ce régime de terreur, les troupes du général Vileda ont saisi plusieurs lieux afin de les transformer en centres clandestins de détention et de torture.

C’est notamment le cas de l’ancienne école militaire de la marine. Sous la junte militaire, on estime que 5 000 personnes auraient été détenues dans le centre, dont la plupart ont été torturées avant de disparaître sans laisser de trace. Certains détenus ont, quant à eux, été jetés vivants des « vols de la mort » dans l’océan ou la rivière. Ce type d’exécution consistait à jeter les prisonniers depuis des avions ou hélicoptères en plein vol. L’ESMA abritait également une maternité, dans laquelle les détenues enceintes pouvaient accoucher, avant que leurs enfants ne soient enlevés par des officiers.


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