Comment la technologie a révélé le secret d’une œuvre de Gentileschi censurée au XVIIe siècle

En 1618, l’artiste baroque Artemisia Gentileschi réalisait sa première commande pour la Casa Buonarroti, à Florence. Malheureusement pour l’artiste, son Allégorie de l’inclinaison, un nu féminin ornant le plafond de la demeure, fut censuré quelques décennies plus tard par un aristocrate italien. Grâce aux technologies modernes, les experts ont toutefois réussi à dévoiler le tracé original d’Artemisia Gentileschi et à retirer le voile de pudeur qui endommageait son œuvre.

Armetisia Gentileschi, L'Allégorie de l'inclinaison, 1615, huile sur toile, La Casa Buonarroti, Florence
Armetisia Gentileschi, L’Allégorie de l’inclinaison, 1615, huile sur toile, La Casa Buonarroti, Florence

Au début du XVIIe siècle, Michelangelo Buonarroti le Jeune, neveu du célèbre maître florentin, engage la peintre baroque Artemisia Gentileschi (1593-1653) pour décorer la demeure familiale. Dès 1618, l’artiste italienne s’attelle à la réalisation de L’Allégorie de l’inclinaison (1615), un impressionnant nu féminin qui ornerait le plafond de la maison Buonarroti. Moins d’une cinquantaine d’années après, Leonardo da Buonarroto, le neveu de Michelangelo le Jeune choisit de censurer l’œuvre. Pour lui, exposer sa femme et ses enfants à une figure féminine nue n’était pas envisageable. Il engagea donc Baldassare Franceschini, dit « Il Volterrano » (1611-1689) pour couvrir les parties intimes du personnage par une draperie. De cette manière, Leonardo da Buonarroto a délibérément mis à mal la vision d’Artemisia Gentileschi par un excès de pudeur.

Cependant, l’imagerie numérique moderne a permis aux conservateurs du musée de la Casa Buonarroti de dévoiler la peinture originale de Gentileschi. De manière virtuelle, la figure se voit ainsi dévoilée dans son plus simple appareil, comme elle l’était au début du XVIIe siècle. Cette quête pour « découvrir la femme derrière les voiles » a été financièrement encouragée par Calliope Arts, une organisation britannique dédiée aux contributions historiques des femmes à la culture. Ainsi, ce qui devait être une simple restauration de L’Allégorie de l’inclinaison a plutôt permis de révéler la vision initiale de l’artiste italienne.

Un dévoilement uniquement virtuel de la figure féminine

Malgré l’évolution des technologies et les avancées de l’imagerie numérique, la figure de l’Allégorie n’est, pour le moment, visible que de manière virtuelle. Selon la conservatrice en chef de la Casa Buonarroti, Elizabeth Wicks : « Le camouflage de la censure n’a pas pu être enlevé pour deux raisons. Premièrement, l’enlèvement des épaisses couches de peinture à l’huile appliquées par Il Volterrano moins de cinq décennies après l’original pourrait mettre en péril les délicats glacis d’Artemisia situés juste en dessous de la surpeinture. Deuxièmement, les voiles ont été appliqués par un important artiste de la fin du baroque et font désormais partie de l’histoire du tableau. »

L’analyse pointue de l’œuvre a néanmoins permis aux experts d’identifier précisément chaque pigment et chaque couche de peinture. Ils ont ainsi découvert des pentimenti, soit des marques obscures de modifications apportées à la composition, et les ajouts de Baldassare Franceschini. « Il a fallu une radiographie pour voir à travers le pigment blanc de plomb qui recouvrait les cuisses du personnage. Mais, à la fin, nous l’avons obtenue : une image scientifique de l’original d’Artemisia », détaillait Mme Wicks aux médias.

De plus, l’imagerie numérique a permis de révéler une empreinte digitale figée dans le temps sur le mollet de la figure féminine. Celle-ci est apparue après un nettoyage minutieux de la peinture afin d’éliminer la saleté et la crasse accumulées au fil des siècles. « L’empreinte digitale a été faite lorsque la peinture originale était mouillée, et il est fort probable qu’elle soit celle d’Artemisia elle-même », affirmait Elizabeth Wicks. A la suite des différentes analyses de l’œuvre, les experts ont également appliqué deux séries de bandes de toiles et consolidé les couches de peinture afin d’assurer sa stabilité et sa pérennité.

L’Allégorie, vedette de l’exposition « Artemisia au Musée de Michel-Ange »

Jusqu’au mois de janvier 2024, la Casa Buonarroti accueille l’exposition « Artemisia au Musée de Michel-Ange », qui retrace l’œuvre de l’artiste italienne. Au-delà des commandes de Michelangelo le Jeune pour Artemisia Gentileschi, le Musée suit le parcours atypique de ce peintre du XVIIe siècle, dont le talent et les réalisations ont longtemps été oubliés. Dans un communiqué, Margie MacKinnon, co-fondatrice de Calliope Arts, explique d’ailleurs : « Nous voulons faire d’Artemisia Gentileschi un nom familier et susciter l’intérêt pour ses œuvres d’art révolutionnaires. Artemisia est la « drogue d’introduction » des premières femmes artistes. Son histoire est si dramatique, ses peintures si puissantes et ses réalisations si impressionnantes… Les gens se demandent pourquoi ils n’ont pas entendu parler d’elle auparavant et qui sont les autres femmes artistes qu’il faut connaître. » Ces dernières années, la popularité de plusieurs femmes artistes s’est accrue, dans une volonté de mettre en lumière les talents féminins qui ont marqué les derniers siècles.

L’exposition « Artemisia au Musée de Michel-Ange » est également l’occasion de présenter un nouveau livre, Artemisia UpClose de Florentine Press, ainsi qu’un cycle de conférences à venir sur cette artiste. Parmi les différentes œuvres présentées jusqu’au mois de janvier à la Casa Buonarroti, L’Allégorie de l’inclinaison demeure la plus populaire auprès des visiteurs, notamment par l’expérience virtuelle inédite qu’elle leur propose.


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