Début septembre 2023, les autorités américaines ont saisi trois œuvres de l’artiste expressionniste Egon Schiele, ayant appartenu au collectionneur juif Fritz Grünbaum. Saisies lors de son arrestation et de sa déportation en 1938, les œuvres avaient été vendues à divers marchands d’art, avant d’être exposées dans trois musées américains.
Fritz Grünbaum (1880-1941) était un artiste de cabaret juif autrichien et un grand collectionneur d’art qui possédait plus de 80 dessins d’Egon Schiele (1890-1918). Fils d’un marchand d’art juif, il avait étudié le droit, mais s’était orienté vers les arts de la scène. Néanmoins, il conserva l’appréciation de son père pour l’art et commença, à son tour, à collectionner des œuvres. Mais l’auteur-compositeur et collectionneur fut arrêté en 1938 par les autorités nazies et envoyé au camp de concentration de Dachau. Outre ses origines, son arrestation aurait été motivée par une plaisanterie sur le parti national-socialiste. Lors d’une représentation au cabaret, alors qu’il jouait une scène plongée dans le noir, Fritz Grünbaum a effectivement déclaré : « Je ne vois rien, pas la moindre chose ; j’ai dû tomber dans la culture nationale-socialiste. » Malheureusement, l’artiste est décédé à Dachau en janvier 1941, après une ultime représentation devant ses codétenus du camp.
La collection Grünbaum avait, quant à elle, été répertoriée par Franz Kieslinger, un historien de l’art et membre du parti nazi, et toutes les œuvres de Schiele, considéré comme de l’art « dégénéré » par le régime, avaient été vendues. Trois d’entres elles étaient, jusqu’au début de l’automne, exposées dans trois musées différents aux Etats-Unis. En effet, le procureur de Manhattan, Alvin Bragg, a émis des mandats début septembre pour que les autorités new-yorkaises les saisissent. Selon lui, il existe « des motifs raisonnables de croire que les trois œuvres d’art sont des biens volés ». Ces trois biens, ainsi que d’autres de la collection privée de Fritz Grünbaum, font l’objet d’une procédure civile de la part de ses héritiers. Ces derniers estiment que l’artiste a dû céder ces œuvres sous la contrainte lors de son arrestation.
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Les trois œuvres d’Egon Schiele saisies par le bureau du procureur sont Prisonnier de guerre russe, une aquarelle et un dessin au crayon d’une valeur de 1,17 millions d’euros, Portrait d’un homme, un dessin au crayon d’une valeur de 940 000 euros et Fille aux cheveux noirs, une aquarelle et un dessin au crayon, estimé à 1,4 millions d’euros. Elles étaient respectivement exposées à l’Institut d’Art de Chicago, au Musée Carnegie de Pittsburgh et au Musée d’Art Allen Memorial de l’Oberlin College, dans l’Ohio. Pour l’heure, les œuvres devront demeurer dans leurs musées respectifs jusqu’à ce qu’elles puissent être transportées au bureau du procureur.
Dans un communiqué, l’Institut d’Art de Chicago a déclaré : « Nous sommes confiants dans l’acquisition légale et la possession légale de cette œuvre. L’œuvre fait l’objet d’une procédure civile devant un tribunal fédéral, où ce litige est correctement traité et où nous défendons également notre propriété légale. » De son côté, le Musée Carnegie a affirmé qu’il s’engageait à « agir conformément aux exigences et aux normes éthiques, juridiques et professionnelles » et assuré sa coopération avec les autorités new-yorkaises. Le communiqué du Oberlin College, quant à lui, détaillait qu’il était « convaincu avoir acquis légalement la Fille aux cheveux noirs d’Egon Schiele en 1958 ». Néanmoins, l’institution s’est également engagée à coopérer avec le bureau du procureur de Manhattan.
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Des plaintes civiles engagées par les héritiers de Fritz Grünbaum
Les héritiers de Fritz Grünbaum avaient déposé des plaintes civiles contre ces trois musées avant l’émission des mandats du procureur de Manhattan. De même, ils ont déposé plusieurs autres défendeurs afin d’obtenir la restitution des œuvres de la collection privée de l’artiste. En 2018, ils ont remporté leur première victoire lorsqu’un juge new-yorkais a décidé que deux autres œuvres de Schiele devraient leur être remises. Le magistrat avait pris sa décision en vertu de la loi sur la récupération des biens expropriés de l’Holocauste, adoptée par le Congrès Américain en 2016.
Leur avocat dans le cadre de la procédure civile, Raymond Dowd, a récemment renvoyé des questions relatives à la saisie de ces trois nouvelles œuvres au bureau du procureur Alvin Bragg. Néanmoins, le porte-parole du procureur, Douglas Cohen, a affirmé ne pas pouvoir faire de commentaires sur les biens saisis par les autorités, si ce n’est qu’ils font partie d’une enquête en cours.
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