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Les arts visuels britanniques en crise

Un rapport révèle que les coupes budgétaires et la faiblesse de l’économie plongent les arts visuels britanniques dans une crise.

Photographie d'un astronaute et d'un lapin sculpté
Daniel Arsham, exposition « Reliques dans le paysage » jusque décembre 2023, Yorkshire Sculpture Park. © Anthony Devlin

« Le secteur des arts visuels en Angleterre lutte pour survivre ». C'est la conclusion d'un rapport paru sur The Art Newspaper le 11 juillet. Les institutions publiques ferment, touchées par des réductions de financement gouvernemental, l’augmentation des factures d’énergie, ainsi que par l’impact de la pandémie l’augmentation du coût de la vie qui a entraîné une baisse de la fréquentation. Les artistes, quant à eux, sont sous-payés et « systématiquement » exploités, tandis que les cours d’arts universitaires sont supprimés. En parallèle, le secteur commercial rencontre également des difficultés : les entreprises émergentes et de taille moyenne sont contraintes de se développer ou de fermer leurs portes et les grandes entreprises ne sont pas plus épargnées, comme en témoigne la fermeture de nombreuses foires d’art ces derniers mois, dont Masterpiece, en raison des coûts croissants aggravés par le Brexit.


Si la mise en place d’un Fonds de relance de la culture d’une valeur de 1,6 milliard de livres sterling (près de 2 milliard d'euros) pendant la pandémie, a permis d’empêcher l’effondrement du secteur de l’art, le remaniement du financement du Conseil des arts d’Angleterre (ACE) force les institutions de Londres à faire face à une réduction de 50 millions de livres sterling (58 millions d'euros) aux cours des prochaines années. Parmi les plus touchés figurent le Camden Art Centre, les Serpentines Galleries et le Southbank Centre. Dans une tentative de « nivellement » des régions, d’autres musées ont bénéficié d’un soutien financier accru, comme l’Arnolfini à Bristol, dont le financement est passé de zéro à 697 000 livres.


Nicholas Serota, président de l’ACE, reconnaît que ces réductions affectent principalement « un petit nombre d’institutions basées à Londres ». Il souligne toutefois que l’organisme dépense davantage en dehors de Londres, dans une tentative de « nivellement des régions » et continue à soutenir les expositions, le théâtre et les orchestres.


Pour autant, de nombreuses organisations dans toutes les régions sont confrontées à des choix cruciaux, voire à la fermeture. « Le prétendu « nivellement » des régions est largement considéré comme un échec », relève le rapport. Pour beaucoup, les pressions financières actuelles « sont plus graves qu’elles ne l’étaient pendant le Covid », déclare Tony Butler, directeur exécutif du Derby Museums Trust. Il souligne que les musées tels que celui de Derby ont été confrontés à des défis financiers cumulés qui perdurent depuis près d’une décennie, avec des réductions budgétaires année après année imposées par le gouvernement local. Les subventions d’urgence liées à la pandémie ont permis d’éviter un véritable désastre dans le secteur, mais Tony Butler estime qu’il existe maintenant une « vraie préoccupation quant à la durabilité à long terme de la culture civique et régionale ».


Coupes budgétaires et fermetures

En mai, l’Université de Brighton a annoncé la fermeture du Brighton Centre for Contemporary Arts (CCA) en raison de « défis très importants » liés au financement, qui ont été systématiquement réduits au cours des douze dernières années. Ben Roberts, directeur de Brighton CCA déclare que « la fermeture de Brighton CCA n’est qu’une conséquence de ces attaques soutenues et politiquement motivées par des considérations politiques contre le secteur créatif. Nous assistons à la destruction gratuite de nos institutions et industries créatives les plus précieuses ».


L’Université de Wolverhampton connaît également « un programme continu de fermetures de cours et de licenciements », explique Aidan Byrne, responsable de la littérature anglaise. En raison d'un déficit de 20 millions de livres sterling (23 millions d'euros), l'université a supprimé environ 140 cours de premier cycle et de troisième cycle pour l’année universitaire 2022 – 2023.


Les vice-chanceliers des universités ont déjà alerté le gouvernement en mai sur la situation « brisée » du modèle de financement de l’enseignement supérieur, en raison de l’augmentation des coûts causées par l’inflation, appelant à une révision des frais de scolarité.



La situation est similaire d’une région à l’autre. Clare Lilley, directrice de la galerie du Yorkshire Sculpture Park (YSP), constate que la fréquentation ne s’est pas rétablie depuis la pandémie. Elle explique que de nombreuses organisations dépendant de la fréquentation ont connu une « période difficile » en 2022, avec des visites généralement inférieures de 23 % par rapport à avant la pandémie. YSP a dû fermer indéfiniment sa galerie Longside au printemps 2022, n’exploitant plus que sa galerie Bothy pendant la haute saison.


En juillet 2020, YSP a introduit des frais d’admission en raison de l’incertitude économique. La billetterie est désormais une « pierre angulaire » du modèle économique de YSP, indique Claire Lilley. Le financement d’ACE est au « point mort » depuis 14 ans, l’organisation ne recevant que 17 % de ses revenus gouvernementaux. Les coûts énergétiques sont également écrasants, avec une hausse des prix de la facture énergétique qui a doublé cette année pour atteindre 300 000 livres (346 590 €).


A l’avenir, les « projets générateurs de fréquentation » seront privilégiés par rapport aux expositions plus risquées.


Réévaluation des modèles d’affaires

Parmi les autres galeries et musées régionaux contraints de revoir leurs activités, ont peut citer Kettle’s Yard à Cambridge. De même, le Sainsbury Centre de Norwich, qui fait partie de l’Université d’East Anglia, a mis en place un modèle de paiement volontaire. Le Fitzwilliam Museum, appartenant à l’Université de Cambridge avec Kettle’s Yard et six autres musées, étudie maintenant la viabilité de l’entrée gratuite pour certaines expositions, selon son directeur, Luke Syson. Il indique que l’institution cherche maintenant un soutien philanthropique et corporatif pour ses programmes.


Mêmes les plus grands musées doivent se tourner vers de nouvelles sources de financement. Tristram Hunt, directeur du Victoria and Albert Museum (V&A), affirme que sont institution est devenue « encore plus entrepreneuriale » alors que la part des fonds publics pour les musées nationaux « diminue en termes réels » et que le nombre de visiteurs « reste en baisse ». Le Département pour le digital, la culture, les médias et le sport (DCMS) fournit un peu moins de 50 % du budget de fonctionnement du V&A. Par conséquent, le musée a élargi sa base de membres et de clients, établi des partenariats avec des entreprises de technologiques et médiatiques telles qu’Adobe et Google pour des initiatives en ligne et éducatives, ainsi que développé des partenariats commerciaux avec des grandes marques comme Net-a-Porter et Gucci.


Cependant, certaines préoccupations ont été soulevées concernant les ambiguïtés de certains contrats d’entreprises et les liens politiques. En juin, l’ancien co-président conservateur, Ben Elliot, qui est également administrateur du musée, a été accusé de « saper la neutralité politique » du V&A en ayant contribué à organiser un bal d’hiver pour le parti conservateur. Selon le code de conduite, les membres du conseil d’administration « ne devraient pas occuper un poste politique rémunéré ou un rôle particulièrement sensible ou de haut niveau au sein d’un parti politique ». Ils ne devraient pas non plus « utiliser, ou tenter d’utiliser, une occasion de service public pour promouvoir leurs intérêts personnels ou ceux d’une personne, d’une entreprise ou d’une organisation liée ».


Faible salaire de l’artiste

« Le secteur des musées peut bénéficier d’un changement de cap entrepreneurial pour soutenir les grandes institutions, mais pour de nombreux artistes, leur carrière reste non réglementée et non professionnalisée », souligne le rapport. Un rapport sur la rémunération des artistes,coécrit par deux artistes anonymes et publié par The Artists Information Company, a mis en évidence une « culture de frais bas, de travail non rémunéré et d’exploitation systémique ». Les artistes gagnent un salaire médian de 2,60 livres (presque 3 €) de l’heure, bien en dessous du salaire minimum britannique de 9,50 livres de l’heure.


Helen Cammock, lauréate du prix Turner, dont la commande d’été pour le CCA de Brighton a été annulée après la fermeture du centre, déclare qu’elle doit travailler très dur pour joindre les deux bouts. Ses revenus proviennent entièrement de commandes publiques, mais ses honoraires couvrent à peine ses coûts. Pour une récente commande d’un musée allemand, elle était payée seulement 50 livres par jour (58 €). Selon elle, cette situation précaire est courante pour la plupart des artistes, et beaucoup sont même exclus de la profession en raison de l’augmentation des loyers des ateliers.


Helen Cammock estime qu’il est nécessaire d’éduquer les collectionneurs privés sur l’art contemporain. Selon le dernier rapport UBS/Art Basel Art Market, 82 % des ventes mondiales concernent les peintures, sculptures et œuvres sur papier. Elle suggère que « les grandes institutions pourraient proposer des cours aux collectionneurs fortunés sur la manière de soutenir les arts plutôt que d’acheter des marques », car elle constate un manque de compréhension de l’art contemporain.


Elle souligne également les difficultés rencontrées par les jeunes galeries commerciales. « Si les collectionneurs achetaient des œuvres auprès de ces galeries, cela assurerait leur survie et celle des artistes émergents qu’elles soutiennent. »


Ralentissement du marché

Par ailleurs, le marché de l’art connaît un ralentissement, notamment dans le segment ultracontemporain, affectant les galeries, quelle que soit leur taille. Pour maintenir cette dynamique, certaines galeries et maisons de vente mettent en place des structures commerciales de plus en plus complexes, tandis que d’autres ont recours à des investisseurs. Selon Ellie Pennick, fondatrice de la Guts Gallery à Londres, sans investisseurs, les jeunes galeries ne pourront pas se développer et les artistes se tourneront vers les grandes institutions. Les grandes galeries et maisons de vente ressentent également les effets, comme le montre la vente du soir de Christie’s en juin, qui n’a atteint qu’un tiers des résultats de l’événement similaire de l’année précédente et n’a pas atteint l’estimation de prévente.


Selon le chercheur sur le marché de l’art, James Godwin, les taux d’intérêt vont ralentir les économies britanniques, américaines et européennes, « probablement au point de récession, peut-être pour une période prolongée ». Ce ralentissement économique aura un impact négatif sur le marché de l’art et « les perspectives de revenus futurs des entreprises seront faibles, ce qui signifie qu’il y aura moins de surplus de richesse pour acheter de l’art ». La combinaison de cette situation, avec une probable augmentation de l’imposition et des changements de goût importants, représente un défi pour l’ensemble de l’écosystème de l’art.

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